On doit l’idée du Network Computer à Larry Ellison, patron d’Oracle et grand ami de Steve Jobs. On connaît bien Ellison dans le monde Mac : non seulement il est le principal concurrent de Bill Gates, mais il a plusieurs fois annoncé son intention de racheter Apple, « à titre personnel ». C’est d’ailleurs en partie grâce à son influence que Steve Jobs reprendra du service à la tête d’Apple.
Le 4 septembre 1995, alors que Michael Spindler est président d’Apple, Larry Ellison annonce à la presse que les ordinateurs personnels sont appelés à disparaître, au profit d’un nouveau type d’ordinateurs : les Network Computers (ordinateurs en réseau). Pour lui, l’avenir de l’informatique appartient à ces machines, simples terminaux connectés à Internet, sans disque dur ni support amovible. Tout le nécessaire pour l’utilisation de l’ordinateur se trouve sur le serveur : logiciels, documents personnels, système… L’idée, qui était destinée dans un premier temps à remplacer les Macs et les PC à la maison, est vite adaptée à un marché plus juteux et plus facile à atteindre : le marché des entreprises. Le NC permettait de reprendre le contrôle des outils informatiques des employés, tout en réduisant les coûts qui ne représenteraient plus que 25 % des coûts de gestion d’un parc de Macs et PC !
Le principal problème est qu’Oracle, leader mondial des logiciels de base de données, n’a pas la possibilité de créer en interne ces fameux NC. Imagine-t-on Ellison revendre son idée à un quelconque constructeur de PC, s’alliant ainsi à Microsoft pour créer les logiciels nécessaires aux NC ? Non, bien sûr. C’est donc vers Apple que les regards se tournent. Steve Jobs et Larry Ellison sont amis, Apple a le savoir et les infrastructures nécessaires pour créer le NC, et surtout, l’expérience de la Pippin et de NewtonOS, son système d’exploitation allégé.
Fin 1997, tandis qu’Ellison a intégré le conseil d’administration d’Apple et que Steve Jobs en est devenu le Président par intérim, une interview semble régler définitivement la question. Ellison y déclare qu’Apple travaille sur un tel Macintosh NC, sans pouvoir en dire plus « de peur que Steve Jobs lui brise la nuque »… Les rumeurs se font insistantes : on parle d’une machine équipée d’un écran 17 pouces pleine page (à la verticale), d’un G3 à 266 ou 300 Mhz sur une carte-mère gossamer (celle des G3), et d’une version légère du système d’exploitation Allegro (nom de code de MacOS 8.5). Sous l’écran, débarrassé du lecteur CD, disquette, et disque dur, un grand espace permettrait de ranger le clavier et la souris. Une machine virtuelle Java est également prévue pour faire tourner les logiciels réseau. Sur les serveurs, on imagine bien Rhapsody, issu du mariage de Next et d’Apple, et qui deviendra plus tard MacOS X…
Dans le même temps, Apple est censée travailler sur une version grand-public du NC, connue sous le nom d’Apple Media Player, intégrant lecteur de DVD, commande par infrarouge et reconnaissance vocale (trois technologies parfaitement maîtrisées par Apple). Une sorte de résurrection de la Pippin, pour faire entrer le Macintosh NC dans les salons.
Finalement, le Macintosh NC ne verra jamais le jour. Leander KAHNEY, dans son livre Jony Ive – Le génial designer d’Apple, raconte comment le travail sur ce concept a permis la naissance de l’iMac. « Steve a dit » Ma fille entre à l’université, j’ai regardé tout ce qui existait et c’est tout simplement merdique. nous avons une réelle opportunité .Aujourd’hui, notre cible est de construire un ordinateur pour l’Internet« . Il avait la vision de l’iMac ». Et plus loin : « Jobs milita d’abord pour une machine radicalement décapée, un ordinateur de réseau (Network Computer), idée qui faisait alors fureur dans la Silicon Valley ». Le nom de code de l’iMac est d’ailleurs Columbus, comme Christophe Colomb, car il devait représenter un nouveau monde, libre de tout héritage.
Alors même qu’il est le fruit de la réflexion sur le Macintosh NC, l’iMac fait repartir les rumeurs de plus belle, quand on apprend que le petit dernier d’Apple est capable de démarrer à partir d’un système installé sur un serveur ! En effet, des développeurs de la version Mac de Linux ont découvert que lors de son démarrage, l’iMac recherche un serveur « bootp », comme s’il pouvait se passer de son disque dur. Mais MacOS X Server n’est alors pas capable de prendre en compte cet appel. Mieux encore : durant sa tentative de démarrage en réseau, l’iMac s’identifie sous le nom de « MacNC » !
Malgré les démentis répétés d’Apple, les rumeurs au sujet de NC reviennent régulièrement sur le devant de la scène durant les mois qui suivent, notamment avant chaque discours de Steve Jobs, dont les éléments sont toujours gardés bien secrets !
En mars 2001, les rumeurs réapparaissent une dernière fois avec la sortie de MacOS X. Celui-ci étant basé sur un noyau Unix, il est relativement facile de l’adapter à une autre sorte de processeur, moins chère que le PowerPC. On se prend alors à imaginer un nouveau Macintosh NC, basé sur un processeur d’AMD, et tournant sur une version x86 de MacOS X…
Finalement, l’apparition du Cloud, quinze ans plus tard, permettra au concept de reprendre vie. De plus en plus, les ordinateurs et autres appareils stockent leurs données en ligne. Mais on est loin de pouvoir se passer de stockage local, notamment car les applications continuent de s’exécuter sur l’appareil lui-même.